La première polycrise
À une époque de crises environnementales, géopolitiques et économiques apparemment incontrôlables, la vague révolutionnaire qui a balayé l’Europe en 1848 a beaucoup à nous apprendre. Elle a également révélé le potentiel chaotique d’un monde interconnecté, les limites de la gouvernance et la voie vers un avenir plus gérable.
PRINCETON – Le nouveau livre profond et éclairant de l’historien Christopher Clark, Printemps révolutionnaire : se battre pour un nouveau monde, 1848-1849, est une démonstration magistrale de la façon dont des périodes historiques lointaines peuvent parfois parler avec urgence au présent. En effet, le passé lointain peut être un meilleur guide que même les analyses les plus informées des événements actuels. Dans cette étude magistrale des révolutions qui ont balayé la majeure partie de l’Europe en 1848-49, Clark conclut qu’« il est impossible de ne pas être frappé par les résonances » à notre époque.
Alors comme aujourd’hui, note Clark, plusieurs crises ont éclaté simultanément, exposant le potentiel chaotique d’un monde interconnecté. Et puis, aussi, l’époque a été caractérisée par une « perte de cohésion dans des conditions démocratiques, l’échec du dialogue, le durcissement des orthodoxies imperméables à l’argumentation, l’incapacité de hiérarchiser les objectifs clés et de se regrouper dans le but de les poursuivre ». Les gens étaient déchirés par « le roulement et le changement sans un sens bien établi de la direction du voyage ».
La célèbre année révolutionnaire de l’Europe a été tout autant une polycrise que tout ce que nous vivons aujourd’hui. Mais comment l’analyser ? Compte tenu de la multiplicité des événements qui se déroulent de manière centrifuge à travers le continent, la capacité de Clark à tout regrouper dans un récit compréhensible et fluide est en soi une formidable réussite. Le seul analogue récent auquel je puisse penser est le récit interprétatif convaincant de Simon Schama sur la Révolution française, Citoyensqu’il a écrit pour le deuxième centenaire de la révolution en 1989. Le livre de Schama se déplace également avec élégance entre les centres de la révolution et de la réaction en France, mais il avait l’avantage de limiter son attention à un seul pays.